La vie passée: les gants

éplucher avec des gantsParce que même si mes grands-parents ont commencé à cultiver en bio en 1970, nous sommes loin d’être parfait, et manquons de cohérence dans certains faits, car, oui, nous avons préféré notre confort et rêvé à l’absence de pénibilité dans notre travail…

Et moi, Céline, je m’interroge sur le parcours fait en trois générations. De l’Ancêtre, mon grand-père, en passant par le Grand Chef, mon père, à moi, voici quelques différences de vie…

 

Mon frère adorait que ma mère lui gratte le dos. En fait, elle n’avait pas besoin de vraiment gratter : ses mains étaient souvent râpeuses à force de toucher la terre. Pour ceux qui n’ont pas échappé au film « Autant en emporte le vent », la fameuse scène où Scarlett se voit obligée d’avouer qu’elle travaille dans les champs à cause de l’état de ses mains, et bien, c’était le quotidien de ma mère. Plus d’une fois, j’ai vu des personnes avoir un mouvement de recul en voyant ses mains. Le seul moment où elle les avait blanches et douces, c’était pendant les congés de Noël. Jus de citron pour éliminer la terre et les tâches. Crème à foison pour la douceur. Et je ne vous parle pas des mains de ma grand-mère qui étaient encore plus marquées. Mon grand-père avait la chance d’avoir une peau qui marquait moins (et dont j’ai hérité), donc en 2 jours, il retrouvait des mains blanches à défaut d’être lisses…

Cela semble anodin. Et pourtant, un jour, alors que je me rendais sur Paris en train, un homme assis face à moi et qui avait bien 30 ans de plus que moi, m’aborde gentiment, en me disant que sans avoir aucune intention de me draguer, il était dommage d’être si jolie et d’avoir des mains dans cet état (et je peux vous assurer qu’elles étaient bien moins abîmées que celles de mes parents !), qu’il fallait que j’y fasse attention, mette des gants pour les protéger et qu’il resterait dans un coin de ma tête, toute ma vie, pour prendre soin de mes mains. J’ai ri. Comment vouliez-vous que je le prenne ? Fierté ? Honte ? Sommes-nous ce que nous paraissons ? En occurrence, nos mains trahissent notre métier. Notre condition sociale ?

D’ailleurs, j’ai assisté à une conférence où un célèbre permaculteur s’est fait tacler par une auditrice car ses mains étaient blanches comme neige alors qu’il prônait le contact de la terre. Donc suspicion dans l’autre sens aussi…

Il n’empêche, mes grands-parents ont toujours travaillé sans gants. Ma mère aussi. Déjà parce que c’était la preuve des longues heures passées à trimer (avec bonheur, car il y avait de la fierté à travailler plus que le commun des mortels qui ne pense qu’aux prochaines vacances)

La génération du dessous, un peu plus soucieuse de son apparence, a commencé à utiliser des gants en latex pour tailler les tomates (parce que le cif est un peu abrasif mais efficace pour nettoyer vos mains quand vous avez passé la journée à couper les gourmands de tomate), et pour le plant de poireaux (non, parce que les mains qui sentent l’oignon pendant 3 semaines, ce n’est pas possible). Des gants épais pour l’hiver pour laver les légumes (nos doigts n’aiment pas tremper dans l’eau à 4/5°C), genre gants de vaisselle (d’ailleurs, mesdames, notez qu’il n’y a pas de gants plus grand que L dans les rayons des supermarchés, sachez que vous habituez fort mal vos mâles…)

Bref, c’est en découvrant des gants fins et réutilisables il y a 10 ans, que nos mains ont fini par être protégé un peu plus. Même Carlos a fini par s’y mettre, sa femme appréciant ne pas avoir des râpes à fromage sur sa peau délicate…

Donc, au final, nos mains sont toujours plus rêches que celles d’un ingénieur, et après les avoir beaucoup utilisés, il y a des moments où nous aimons le contact avec nos cultures, et nous retirons nos gants, juste pour le plaisir de toucher le grain d’une peau où sa douceur n’est pas ce qui nous émeut le plus…

Un commentaire

  • Virginie KUHFELD 08 / 02 / 2021 Reply

    Waouh, c’est une belle littérature. Un beau voyage transgénérationnel, avec un brin de philosophie et une pincée de poésie. Merci.

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