La vie passée: questionnement sur le choix du bio

Parce que même si mes grands-parents ont commencé à cultiver en bio en 1970, nous sommes loin d’être parfait, et manquons de cohérence dans certains faits, car, oui, nous avons préféré notre confort et rêvé à l’absence de pénibilité dans notre travail…

 

Je suis née dans une famille issue du monde agricole. Le maraîchage vient de ma mère, avec des grands parents « écolos », bien que ce terme était un gros mot chez nous, car il notifiait plus une façon de faire faire aux autres à l’époque (du moins, c’est ainsi que je le ressentais dans les années 1980) mais ils parlaient toujours des aberrations modernes comme l’utilisation de l’amiante un peu partout, ou encore du rapport qu’ils avaient avec les chevaux pour cultiver. Même s’ils avaient intégré que leur métier nécessitait optimisation de leur temps et de vos désirs. Il y avait une vision positive de leur travail, même si l’intensité était forte et qu’il n’était pas envisageable de faire autre chose que de faire pousser la nature. Le loisir n’existait pas.

Du côté de mon père, le discours n’était pas le même. C’était une ferme comme nous l’imaginons tous : une cour carré, un poulailler dont ma grand-mère vendait les œufs et les volailles (je me souviens de ces idiotes de poules qui buvaient le sang de leur copine égorgée au-dessus d’elles), des clapiers (je n’ai jamais voulu voir leur mise à mort d’un coup de bâton avec l’arrachage d’un œil pour laisser le sang s’écouler) et de l’herbe à couper pour les lapins, du cochon que l’on tuait en hiver (je me souviens encore de l’odeur), des patates qui étaient une folie familiale, le cidre du grand père et la moisson. Un peu moins de 40ha et une famille de 4 enfants. Mes grands-parents ont poussé leurs enfants à faire autre chose de leur vie, car ils n’avaient pas assez grand et que la terre était aussi dure qu’elle était généreuse. Il y avait toujours cette notion de travail intense, ce n’était pas la pauvreté mais l’impression planait qu’il n’y avait pas d’élévation possible par la terre, qu’elle prenait votre vie et qu’il ne restait rien à part elle. Et en même temps, il en fallait toujours plus… si vous avez lu ou avez l’occasion de lire « La terre » de Zola, sachez que c’est exactement ce qui se passait du côté de mon père.

Ce qui est la raison pour laquelle mon père est venu travailler avec ma mère et non le contraire. Car du côté paternel, nous avions peur que l’enfer gèle. Alors que chez ma mère, on y arrivait toujours en travaillant (tout le temps). Mon père a donc adopté la bio, sans conviction aucune au début…

Mes deux parents avaient la valeur du travail en premier. Notre enfance fut un espace de liberté où nous jouions en extérieur avec les enfants des voisins, agriculteurs également, jusqu’à la tombée de la nuit. L’adolescence fut le moment où nous avons été obligés de participer. Bien sûr, rien à voir avec les temps anciens où il fallait glaner le blé ou encore travailler plusieurs heures d’affilées, mais clairement, pendant que les amis de parents du secteur tertiaire partaient, il ne restait que les champs pour horizon et une honte face aux questions des autres pour savoir si nous curions les animaux, car nous avions une ferme, non ? Ben, non, nous, on fait pousser des légumes…

Bref, nous étions nés dedans. Aucune étude théorique. D’ailleurs mon frère était un cancre et moi, une élève moyenne qui ne garde aucun bon souvenir de l’école. Les gestes étaient assimilés au fur et à mesure que nous suivions ma mère.

Jamais nous n’avons remis en question notre éducation et les convictions inculqués. Nous étions proches de notre mère qui avait un principe merveilleux : si elle n’était pas d’accord, elle nous le disait mais nous laissait faire nos erreurs.

C’est donc naturellement que nous avons continué sans chercher plus loin.

Nous savions que mon grand-père était revenu à l’agriculture de ses parents (donc bio) suite à une intoxication dû à un produit chimique censé tuer les pucerons sur la salade, mais en fait, ce fut lui qui se retrouva au fond du lit à la fin des années 60. Voilà notre genèse. Voilà notre vision.

C’est en discutant avec les amapiens, système un peu étrange, de mon point de vue, où remettre entre les mains d’autrui la responsabilité de ce que nous mangeons est l’abandon de notre dernière liberté, que j’ai entrevu la notion d’engagement écologique.

Je me contentais de faire un métier que j’aimais bien sans me poser la question « pourquoi ». J’y répondais : parce que nous avions toujours fait ainsi. Et le côté paternel, m’a appris l’humilité face au label bio.

Et s’il était hors de question de revenir au conventionnel, on m’a enseigné à ne pas cracher sur le maraîchage traditionnel car j’en connais l’humiliation, et qui étions-nous (environ 5% de la profession) pour donner des leçons aux autres ? Surtout quand l’on entendait toujours que non seulement, le prix de nos heures était trop élevé mais qu’en plus nous avions la chance d’être en vacances toute l’année au grand air (ma grand-mère en aurait mangé plus d’un au petit déjeuner avec ce genre de phrases !)

Il n’est pas évident de donner du sens à notre chemin. Les injonctions sont nombreuses, et souvent écrasantes.

En fait-on assez ? Qu’est-ce qu’assez ? Ai-je le droit de rêver à un rocher Suchard ? Mais si je suis bio, je devrais utiliser des couches lavables pour mes filles ? Renoncer au sèche-linge ? Et si je mange de la viande conventionnelle, suis-je moins bio ? Dois-je éduquer les gens en leur certifiant que les kiwis, ce n’est que de Novembre à Avril ? Ou dois-je plutôt prendre en compte mes salariés et leur assurer un revenu toute l’année ? car si je n’ai pas ces kiwis, beaucoup iront faire toutes leurs courses ailleurs, gagnant du temps. Qu’est-ce qui est le mieux ? Et moi ? J’aime aussi les kiwis, et je me suis déjà fait plaisir avec des cerises à Noël…

Je n’avais pas encore statué sur ces problématiques. J’ai commencé mon chemin il y a peu. Depuis 20ans, j’ai collecté des indices qui ne me parlaient pas plus que ça. Ils attendaient dans un coin de ma tête pour créer une histoire. Un imaginaire. Prendre un peu de mes grands-parents maternels, respecter mes grands-parents paternels, faire des erreurs, enseigner à mes filles qu’il faudrait qu’elles pensent au sens avant moi et m’extasier devant les derniers papillons…

Un commentaire

  • 5 25 / 08 / 2020 Reply

    C’est marrant ron titre m’a interpellé alors j’ai cliqué.
    Et je me suis reconnu dans certains passages de ton texte. On se pose tous les mêmes questions et en vieillissant, on ouvre les yeux et des évidences tombent. Lâche rien.
    Une vieille Rencontre de formation.

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