La vie passée: les débuts de l’achat/revente

Parce que même si mes grands-parents ont commencé à cultiver en bio en 1970, nous sommes loin d’être parfait, et manquons de cohérence dans certains faits, car, oui, nous avons préféré notre confort et rêvé à l’absence de pénibilité dans notre travail…

Et moi, Céline, je m’interroge sur le parcours fait en trois générations. De l’Ancêtre, mon grand-père, en passant par le Grand Chef, mon père, à moi, voici quelques différences de vie…

 

Mes grands parents n’étaient que producteurs de légumes (et des fruits d’été aussi !) et quand ils ont été expropriés de leurs meilleures terres à Maisons Laffitte, mon grand père avait exclu l’idée de ne devenir que revendeur pour continuer à vivre dans leur maison familiale. Il a préféré tout recommencer de zéro (l’expropriation n’étant pas bien rémunéré à l’époque, et sa belle-mère n’avait pas voulu vendre les biens qu’ils leur restaient) à Saint Rémy, et en bio. Des années compliquées où ils ont fait ce qu’ils préféraient au monde : travailler (car c’était quand même leur plus grand plaisir : s’oublier pour faire pousser des légumes). Mon enfance avait le goût de la liberté sans adulte dans les champs. Au froid, les yeux piquants du poireau qu’on épluche, à la chaleur écrasante de 14h, aux flaques de boues qui nous servaient de matière première pour nos dînettes, aux heures après le coucher du soleil, aux bouquets de fleurs qu’on cueillait pour nous, aux goûters de chocolat fourré praliné râpé chez les grands parents absents (les tablettes ne duraient pas longtemps avec notre gourmandise en roue libre). Le bonheur coulait sur notre enfance.

Mais voilà, à l’époque où le bio n’était pas à la mode, les personnes ne voulant manger que bio courait un peu partout pour trouver leurs produits. Et si certains se contentent de choux l’hiver, d’autres voulaient de l’exotisme et le demandaient à mes parents.

Il est vrai que l’offre n’étant pas présente à la fin des années 1990, mes parents ne se sont pas demandés s’ils vendaient leur âme au diable en complétant la gamme à Rungis. Mon frère devaient les rejoindre dans les champs, et il n’était pas prévu d’élargir nos 6Ha à ce moment (même si nous l’avons fait en 2001). Sans oublier, que j’ai rejoins le giron familial quelques mois après mon frère.

Donc nous avons commencé en remplissant notre camionnette une fois par semaine. Ma mère avait son petit carnet avec sa commande et les prix. Très rapidement, nous y sommes allés 2 fois par semaine. Puis avec le camion le jeudi. Bref, vous étiez enthousiaste.

Nous avons mis le terme « à nous » sur nos étiquettes pour différencier notre légume de celui qui poussait ailleurs. On nous a demandé de vous éduquer. Nous avons estimé que non. Déjà parce qu’il n’y avait aucun doute sur ce qui poussait ici (et donc était de saison !), ensuite parce que vous êtes grands, et que nous ne sommes pas à même d’être parfait, loin de là (après tout, le chocolat vient de loin, la banane aussi… donc comment critiquer autrui quand nous ne sommes pas prêts à renoncer à ces péchés)

Et soyons honnête, aujourd’hui, nous vendons autant de produits cultiver hors de chez nous, que chez nous. Pas parce que nous avons cessé certains légumes, mais parce que nous ne faisons pas de champignons, nos serres n’abritent pas d’oranger et les brocolis et l’ail sont toujours un échec ici… Et nos pommes sont souvent jugées trop petites ou pas assez jolies pour satisfaire tout le monde, donc elles finissent en jus (le meilleur de la terre, selon ma fille)

Compléter notre gamme, nous a permis de rencontrer des personnes géniales à Rungis qui s’occupent de nous. Egalement d’autres producteurs en lisant leurs adresses sur les cageots de leurs très bons produits. Sans dénigrer le confort mental que cela nous offre, comme cette année, où nous avons vu les altises grignoter tous nos choux blancs et rouges… nous avons vu tellement de producteurs où le corps a fini par dire STOP de façon brutale.

Et pourtant, quand nous rencontrons un maraîcher conventionnel, nous comprenons qu’être en bio depuis très longtemps fait que nous ne nous sommes pas posés de questions identitaires en choisissant de compléter notre gamme. D’ailleurs, les nouveaux maraîchers bio hésitent à la faire, car le bio est aujourd’hui partout. Et qu’ils ont peur qu’on les prenne pour de faux producteurs.

Ce qui nous semble étrange car à aucun moment, nous avons eu envie de n’être que revendeur. Les légumes savent prendre tout notre temps et exigent de nous toute notre attention. La vente et Rungis ne représentent que 15% du temps global. Nous adorons passé du temps dans nos champs (peut-être un peu moins quand il fait froid ou qu’il pleut…), voir nos légumes croitre, les toucher sous le soleil, plonger nos mains dans les bacs d’eau pour les rendre propre, enlever les feuilles abîmées, nous accroupir pour les cueillir, trouver ce qui leur conviendra le mieux, savoir qu’ils arriveront à telle date, goûter les premières tomates, respirer les fraises sous le tunnel gorgé de chaleur… Nous n’arrêterons pour rien au monde, et le travail de nos collègues (car derrière chaque légumes, il y a quelqu’un qui l’a aidé à grandir pour nourrir une personne) nous motive à faire des légumes que, forcément, vous trouverez meilleur.

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